Journale Dans le carrousel des langues.

La liste des personnages que donne Sabatier-Ungher, qui signe la traduction sur laquelle j’ai choisi de me baser, est particulièrement savoureuse parce qu’elle reproduit une certaine phonétique allemande.

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La réécriture d’Annette Hug adopte la dramaturgie de la pièce de Schiller, on peut toujours retrouver à quelle scène le récit correspond. On retrouve un même vocabulaire, des éléments de dialogue. Parfois les scènes sont réordonnées, des échanges extrapolés.

Les personnages principaux de Schiller apparaissent tous dans la réécriture qui nous transporte à mi-chemin entre la Suisse centrale et l’archipel en bordure du pacifique. Intertextualité – subtils jeux de contraste – à la fois ressemblants à l’original et forcément différents.

Je les donne ici dans l’ordre d’apparition dans le roman d’Annette Hug[footnote Le numéro des pages correspond à la version allemande: Annette Hug, Wilhelm Tell in Manila, Das Wunderhorn, 2016]:

 

Landvogt (S. 19), connu en français sous le nom de bailli Gessler, même si certaines traductions parlent de « l’avoyer » ou du « vicaire ». Dans la version de Rizal il devient hukum, le juge gouverneur. C’est le représentant de l’autorité de l’empereur sur les terres, plusieurs récits montrent à quel point il persécute le peuple par de petites actions tyranniques et injustes.

Baumgarten (S. 28) en est l’une des victimes. Selon les chroniques qui racontent l’histoire de Tell, il était en train de couper du bois et un bailli (qui n’est d’ailleurs pas toujours Gessler, mais parfois un autre du nom de Wolfenschiessen) est venu exiger de prendre un bain chez lui. Rentré du bois, il le surprend en train de tenter de séduire sa femme (comprendre : de la violer) ; il l’assomme alors et prend la fuite. C’est en fait le premier crime perpétré contre la domination étrangère, qui préfigure le tyrannicide commis par Tell dans le Chemin-Creux. Baumgarten est sauvé par Tell qui maîtrise mieux que personne le gouvernail dans la tempête (cet épisode aussi préfigure la grosse tempête pendant laquelle il s’échappera).

Ruodi le batelier est là qui se tord les mains, Werni le berger aussi. Ce sont des personnages secondaires mais on les retrouvera plus tard.

Guillaume Tell, bien sûr, le chasseur qui surgit de la forêt, Guillermo le solitaire. C’est un héros plutôt ambivalent. Il libère le pays de l’oppresseur, mais si l’on observe exactement son comportement, on s’aperçoit qu’il n’en fait qu’à sa tête sans se conformer à l’avis de la majorité. Son comportement serait plutôt celui d’un anarchiste. Un premier mouvement pousse à penser que Rizal s’identifie à lui comme figure révolutionnaire, mais ce n’est pas l’avis d’Annette Hug (Cf. Guillaume Tell et Rizal).

Gertrud (S. 40) ou Guertroud si l’on suit la phonétique de Sabatier-Ungher. C’est la femme de Werner Stauffacher, le Schwyzois. Elle est aussi la fille d’un homme important, comme nous le rappelle cette scène qui est inspirée de cette description qu’elle fait d’elle-même :

Du noble Iberg Je suis la fille, — un homme

très-expérimenté. Mes sœurs et moi

restions de longues nuits, filant la laine,

quand chez mon père, en corps, les chefs du peuple

se rassemblaient et relisaient les chartes

de nos vieux empereurs, et s'occupaient

dans leurs discours du bien de leur pays.

J'entendis là des choses très sensées, —

pensées de sages et vœux d'honnêtes gens —

et dans mon cœur j'ai conservé cela.

(Schiller, Tell, Sabatier-Ungher, S.12)

 

Bertha von Bruneck (S. 58) : une aristo, une noble qui fréquente donc plutôt les nobles. Elle vient en fait de l’étranger à la suite de Gessler, mais elle se prend d’affection pour les Suisses et se range de leur côté. Elle est courtisée par Rudenz.

Walther Fürst (S. 60), originaire d’Uri c’est, aux côtés de Werner Stauffacher et de Melchthal, l’un des trois Suisses leaders de la révolte. Comme Stauffacher, c’est un riche propriétaire, ou un « bien-loti », il appartient plutôt à la haute-bourgeoisie. Mais chez Schiller, c’est aussi le père d’Hedwig, la femme de Guillaume Tell, et donc le grand-père du petit Walter, le garçon à qui l’on place une pomme sur la tête.

Melchthal, ou Arnold von Melchthal, il vient d’Unterwald, le troisième canton avec Schwyz et Uri qui forme la Suisse primitive. Souvent, dans l’imagerie populaire, ils sont représentés comme trois sages égaux, mais Schiller donne à Melchthal un caractère très différent que la lecture d’Annette Hug/Rizal souligne. Il est manifestement plus jeune que Fürst et Stauffacher qui lui reprochent son impétuosité. On lui prête un passé sulfureux de mauvais garçon, il est impulsif et ne craint pas l’usage de la violence. Il est aussi plus impliqué émotionnellement car la domination l’atteint personnellement dans sa chair. Cette blessure devient le moteur de sa révolte.

[annotation   ]Cf. Guillaume Tell et Rizal.[/annotation]

Le Baron des Alpes (S.71), c’est le vieil Attinghausen, la noblesse locale. En tant que noble, il a des valets qu’il traite bien, mais qui lui sont assujettis. Ce sont donc des vassaux, des paysans à son service qui ne sont pas libres.

Rudenz, le neveu du vieil Attinghausen. Au début, il est séduit par l’étranger qui représente pour lui le progrès, la ville et que, surtout, il voit incarné dans Bertha dont il est amoureux. Pourtant c’est elle aussi qui va l’enjoindre à s’engager dans la révolution aux côtés de ses compatriotes.

Le chapitre 9 du livre d'Annette Hug restitue la scène de l’alliance conclue sur le Grütli. Cela correspond à la scène deux de l’acte II. Il y a beaucoup de personnages : 11 représentants pour chacun des trois cantons à l’origine de la Suisse (Uri, Schwyz et Unterwald). Ils ont été dépêchés dans cette haute vallée pour conclure une alliance afin d’unir leurs forces contre l’oppresseur. 

On retrouve notamment Ruodi le pêcheur, Werni le berger et Baumgarten qui a été sauvé par Tell. Roesselmann, le curé, apparaît aussi brièvement, il refera une apparition au moment de la scène du chapeau. Celui qui prend le plus la parole dans la réécriture d’Annette Hug, c’est Konrad Hunn qui a été chez l’étranger pour leur parler. Il vient de Schwyz, comme Werner Stauffacher. Au passage, on peut noter que Guillaume Tell n’est pas présent.

Car Tell est dans sa maison dans une vallée reculée – avec sa femme, Hedwig, et ses deux fils, dont le petit Walther qui reviendra pour la pomme. Encore une fois, il fait son rebelle.

 

Guillermo hat sich mit Frau und Kindern in ein Seitental zurückgezogen, weil er jagen will und keine Steuern auf die Beute bezahlen. (AH, S. 86)

 

Guillermo s’est retiré dans une combe avec femme et
enfants parce qu’il aime chasser et ne veut pas payer d’impôt
sur son gibier. (AH, CL, p. 91)

Pendant son absence, Hedwig voit arriver, sans le reconnaître, Jean le Parricide - Johannes - Juan qui apparaît dans l’acte IV chez Schiller. Il est modelé sur la figure du prince Jean de Souabe, qui a assassiné son oncle Albert Ier de Habsbourg (en 1308) parce qu’il ne voulait pas lui accorder son dû.

« L’affrontement de Tell et de Jean le Parricide (affrontement du héros et de son contraire – ou de son ombre ?) est la « clef de tout » selon Schiller. » [footnote Alfred BERCHTOLD, Guillaume Tell : résistant et citoyen du monde, Zoé, Genève 2004, p. 49]

À partir de là, tous les personnages présents dans le roman sont apparus au moins une fois. Pour chaque scène, la réécriture en prose de Annette Hug met l’accent sur un aspect particulier. Deux répliques s’épanouissent en deux pages, une dizaine d’autres allégrement sautées. La scène du tir sur la pomme à ce titre est impressionnante. Dans le chapitre 12, Annette Hug la déploie en kaléidoscope pour la représenter encore et encore du point de vue de chacun des personnages principaux. La scène est ainsi rejouée dans plusieurs focalisations : Stauffacher, Walther Fürst, Walther Tell, le petit garçon, Rudenz et enfin Guillaume Tell.

 

 

 

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