Journale Dans le carrousel des langues.

Hélène Goujat

Réforme ou révolution ? [footnote Hélène Goujat, Réforme ou révolution? : le projet national de José Rizal (1861-1896) pour les Philippines, Paris : Connaissances et savoirs, 2010]

 

Une aubaine de trouver ce travail extrêmement fouillé et bien documenté, offrant un accès à des sources similaires à celles dont s’est nourrie Annette Hug. En particulier des extraits de la correspondance de Rizal et Blumentritt. Pour un grand nombre d’événements, je retrouve le récit correspondant, avec de petites variations qui me rendent plus attentives au regard particulier d’Annette Hug. Le titre, d’emblée, m’a inspirée, car j’y trouvais la question pour moi essentielle dans le livre d’Annette Hug : de quoi est fait une révolution ? Rizal la souhaitait-elle ? C’est finalement le sujet du dialogue que Rizal entame, via sa traduction, avec Schiller. Cette question de la communauté est toute incarnée dans la traduction d'un pronom: nous sans les autres ou nous, tous ensemble.

 

Grâce au travail d'Hélène Goujat, je découvre notamment que le discours prononcé lors du banquet de Paterno en l’honneur des peintres lauréats est connu dans la "réalité" sous le nom de Discurso brindis et j'en trouve de longs passages cités qui viennent enrichir ma lecture. La suite ressemble à un exercice d’équilibrisme (l’image souvent me revient quand il faut parler de traduction) : emprunter assez au discours pour qu’il soit reconnu, mais conserver la paraphrase pour ne pas perdre la tension du rapport qu'Annette Hug entretien avec "son" original.

 

 

Je me prends de passion pour ce livre, marque les pages qui m’intéressent, le garde religieusement près de moi même quand je ne le lis pas, prolonge indéfiniment mon emprunt à la bibliothèque – heureusement personne à Lausanne ne semble encore s’intéresser à Rizal.

 

Hélène Goujat et Annette Hug me paraissent assez d’accord l’une avec l’autre. Toutes deux apprécient les articles de Ocampo, partagent la même vision de son projet politique. Les portraits de Paterno, Blumentritt, Morayta correspondent, se complètent et se répondent admirablement. Elles aussi dialoguent, à travers moi, et peut-être qu’elles se rencontreront un jour, grâce à ma traduction.

Leur projet global, évidemment, n’est pas le même. Hélène Goujat retrace le projet politique de Rizal dans son ensemble et ne consacre que quelques passages épars aux années en Allemagne. Elle ne dit pas un mot de la traduction du Wilhelm Tell, analyse par contre en détail « le Noli », comme est surnommé le premier roman de Rizal [footnote José Rizal, N’y touchez pas, trad. de l'espagnol (Philippines) par Jovita Ventura Castro. Préface d' Étiemble. Avant-propos de la traductrice. Collection Connaissance de l'Orient (n° 50), Série philippine, Gallimard, 1980], celui qu’il cherche par tous les moyens à imprimer en Allemagne.

Le risque avec de telles sources, au-delà du fait de se perdre dans un surplus de matière, ce qui est un moindre mal, est de se laisser emporter par une vision qui ne serait plus celle de l’auteure qu’on traduit mais un mélange trop bâtard de points de vue divers sur un même événement. Au bout d’un moment, il faut reposer les documentations, se souvenir qu’on traduit un livre et une vision et revenir au texte source, solide.

 

Avec Réforme ou Révolution, j’ai trouvé un livre riche qui permet de refaire en accéléré le chemin de l’auteure (elle-même a travaillé six ans à son roman !). Plaisir de lire les lettres qu’elle a dû lire, de reconnaitre les sources dans lesquelles elle a puisé telle ou telle information. C’est comme une fenêtre sur son atelier de travail, une manière de se rendre compte de son processus de travail, d’observer l’écriture et la « fictionnalisation » d’un texte.

À titre d’exemple, le récit par José Rizal dans cette lettre adressée à sa famille et citée par H. Goujat. Il y  relate la scène de révolte à Madrid, scène réinterprétée et fictionnalisée par Annette Hug (qui recoupe certainement plusieurs sources).

 

Extrait de: Hélène Goujat, Réforme ou révolution? : le projet national de José Rizal (1861-1896) pour les Philippines, pp. 438-439

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