File indienne – quand la traduction réveille les expressions idiomatiques.
Der Weg zwischen den Fjorden ist abschüssig. Maultiere
gehen langsam in einer Reihe den Berg hoch und
vor der Passhöhe gehen sie nicht mehr auf dem Boden,
sondern in der Luft.
(AH, p. 12)
Le chemin entre les fjords est abrupt. Les mulets
grimpent lentement en file indienne et, au moment d’atteindre le col, ce n’est plus le sol qu’ils foulent, mais l’air.
(AH, CL, p. 14)
L’expression « en file indienne » est plutôt anodine pour traduire « in einer Reihe ». Pourtant, comme Annette Hug me l’a fait remarquer en découvrant cette traduction dans un extrait finalisé très tôt, elle prend dans ce contexte d’échanges et de mélanges culturels une telle dimension qu’on se demande tout d’abord si elle peut être conservée.
Sur ces îles aux multiples influences, les jonques qui viennent de Chine, les galions d’Espagne – et les mots originaires de l’Inde, la file indienne tombe à pic et ouvre sur de nouvelles résonnances.
...la question presse de savoir
quel chemin ont emprunté les chants : quels personnages
sont venus de l’Inde par Java et Sulu et jusque dans les hauteurs de la cordillère de l’île de Luçon, lesquels étaient là
déjà bien plus tôt, arrivés aux temps primitifs sur les flottes
des explorateurs malais – qu’y avait-il au commencement
en bordure du Pacifique et qui sont réellement les croisés
qui errent aujourd’hui dans ce paysage volcanique ? Si
les Indiens ont propagé leurs mots vers l’Orient et l’Occident, leurs héros n’auraient-ils pas eux aussi traversé le monde dans les deux directions ?
(AH, CL, p. 157)
Cette correspondance oblige soudain à s’arrêter sur cette expression quotidienne (une métaphore morte, une catachrèse) – et à se demander ce qu’elle signifie. C’est la dimension poétique de la traduction et son pouvoir vivificateur –
Et, bien que l’expression française (d’après mes recherches) renvoie plutôt aux Amérindiens, au sein de ce roman, par contagion lexicale, la voilà chargée d’une nouvelle aura de signification.
Ç'eut été tout autre chose que de renvoyer au loup.